Le chêne et la mer
- Stéphane Boistard
- il y a 11 minutes
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Je me rendis auprès du chêne. C’était le bon moment. Avez-vous remarqué à quel point les feuilles de chêne sont si tendres dans leur aspect, leur couleur, leur texture, une fois l’éclosion printanière démarrée ? Les jeunes feuilles de chêne, juste après la floraison, avaient lancé l’invitation. J’ai donc commencé une diète de chêne et un rapprochement avec l’énergie de cet arbre.
C’est si nouveau pour moi que j’en suis souvent surpris et émerveillé.
J’ai déjà diété beaucoup d’arbres de notre flore occidentale. Je les ai diétés à un stade de mon existence où je pouvais me connecter à l’esprit des plantes. J’ai rencontré divers esprits arbres grâce à ces diètes. Mais il arrive un temps sur le chemin spirituel où il n’y a plus de rencontre avec ces esprits.
Le chemin spirituel peut amener à ces dépouillements qui font fondre, occasionnellement ou de façon permanente, la simple idée d’être quelqu’un. Il arrive un moment où en nous écartant de l’agitation sociale, du « bruit » humain, nous rencontrions des espaces jusqu’alors inconnus. Des espaces abordés par nos perceptions visionnaires. Des espaces et des présences. Ce nouveau chemin de diètes de plantes est dans cette énergie. Je découvre par l’expérience intime et par la présence du chêne en moi, des perceptions et enseignements qui n’avaient pas encore été accessibles. D’ailleurs, invitant les esprits des plantes à déployer leur présence dans le canal que « je suis », mes proches peuvent observer des changements dans mon comportement. Ce n’est plus ce « moi » qui agit ou parle, c’est autre chose.
Et depuis l’espace intérieur, je perçois aussi ces changements. Ces influences spirituelles. Je perçois que l’humain peut être profondément relié, et même habité, par des esprits bienveillants qui vivent autour de nous.
Je pensais à cela et à diverses autres questions quand j’ai laissé s’exprimer la voix à l’intérieur de ma tête. Une voix emplie de bonté et de douceur.
— Pourquoi est-ce que je me sens si différent lorsque je diète ?
— Vous aimez tellement les histoires que vous pouvez passer une existence à écouter vos histoires et celles des autres… et passer à côté de la vie…
— Mais comment est-ce possible ?
— Vous oubliez. Ce que vous appelez « éducation » est une façon d’orienter votre énergie. Et si vous habituez votre énergie à écouter ces histoires, vous restez sur cette fréquence. Vous cherchez à l’extérieur cette énergie et vous saturez l’espace intérieur de ces histoires et pensées.
— Mais il existe d’autres possibilités ?
— Oui, me dit avec douceur la voix que j’associais de plus en plus à une présence masculine rassurante.
Vous pouvez apprendre à accueillir ces mouvements que sont les pensées et les émotions ou les sensations corporelles.
— Mouvements ? Je ne comprends pas ce que tu évoques par mouvements ?
— Ce sont ces changements, ces alternances, comme des vagues. Vous êtes sur le bord d’une plage et chaque pensée ou émotion ou sensation corporelle est comme une vague qui arrive. Elle a son point d’impact. Vous la percevez. Puis vous restez « mouillé » de cette énergie jusqu’à la vague suivante. Il semblerait n’y avoir aucune pause entre les sollicitations. C’est ce que tu vivais jusqu’alors.
Si tu prends conscience de cela, c’est déjà beaucoup. Tu perçois que tu n’es pas juste le réceptacle de ces sollicitations. Tu as le pouvoir d’agir.
— Mais les pensées sont toujours fortes ! Je perçois que cela focalise beaucoup mon attention.
— Oui, tu as été éduqué en ce sens. Tu peux auusi le constater avec ta difficulté à gérer les diverses émotions lorsqu’elles se présentent. Ce sont comme des vagues un peu plus grosses parfois. Lorsque tu apprends à observer ces mouvements, tu t’aperçois que ces grosses vagues ne sont en fait que des illusions. Elles sont des mouvements auxquels tu apportes un rythme et une intensité.
— Tu veux dire que c’est moi qui crée ces débordements et ces agitations au niveau des pensées et émotions ?
— Oui. Quand tu t’attaches trop au monde extérieur, c’est-à-dire que tu prends le monde extérieur comme repère, avec les conditionnements que tu as intégrés, tu deviens une personne. Une certaine image de ce que tu es.
Le changement vient quand tu observes tout cela. Lorsque tu découvres à l’intérieur de cette personne d’autres notions. Des espaces de compréhension et d’enseignement. Tu commences alors à changer ta posture. Tu deviens autre chose. En apparence, à l’extérieur, il y a toujours les mêmes sollicitations. Mais ta vie intérieure permet de donner une autre perspective à ce qui t’entoure… et à ce qui se passe à l’intérieur.
— Est-ce que tu as un autre mot que « vie intérieure » afin que je comprenne mieux ?
La voix fit un court silence. Puis elle reprit calmement.
— On pourrait appeler cela un espace visionnaire. Tu vois et perçois avec d’autres sens. Tes yeux perçoivent différemment. Tu peux « voir » des émotions, des pensées, et d’autres influences que tu ne percevais pas jusqu’alors. Tu peux aussi explorer ce qu’est un être humain. Tu vas de découvertes en découvertes. Et cela change profondément ton énergie et ta façon de vivre cette existence. Tu changes de dimension, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
— Mais si c’est le cas, pourquoi certains de mes proches, comme des parents ou amis ne voient pas la différence ?
— Tes proches qui vivent vraiment proches de toi voient ces changements. Ils perçoivent quelque chose. Mais ceux qui vivent absorbés par les sollicitations extérieures restent avec la gestion de l’instant des pensées, histoires, émotions… et ne peuvent pas sortir de ce rythme qui les emprisonne. Leur regard reste empli d’images non visionnaires. Leur capacité à percevoir reste plus réduite.
— Cet état visionnaire, comment peut-on le vivre ?
— D’abord en prenant conscience que quelque chose ne va pas. Ne tourne pas rond. Il y a une faille dans la rythmique des pensées et perceptions. Cette faille permet de chercher autre chose. Chez les humains, cette faille vient la plupart du temps soit avec une saturation de pensées, soit avec un accident, soit à l’inverse avec une lumière inhabituelle qui surgit d’un espace autre, que vous appelez émerveillement. Il y a soit la perception qu’il faut sortir de quelque part, soit l’appel de plonger dans une autre expérience. Quel que soit le semblant d’origine, il y a une faille et un mouvement nouveau qui s’amorce.
— Et toi qui me parles, es-tu humain ?
— Non.
— Tu es quoi ?
— Autre.
— Pourquoi est-ce que je t’entends à l’intérieur de ma tête ?
— Avec ta diète, tu ouvres un canal, et dans ce canal, nous sommes ensemble. La séparation disparait. Ne t’inquiète pas, tu n’es pas fou. Ce sont juste des perceptions. Ce que tu appelles « moi » est un canal, et dans ce canal, tu m’as invité.
Je ne me souvenais pas d’avoir invité qui que ce soit à part l’esprit du chêne.
— Tu es l’esprit du chêne ?
— Oui et non.
— Comment peux-tu à la fois être l’esprit du chêne et pas son esprit ?
— Ce que tu appelles « esprit » du chêne serait dans ta conception comme une entité définie. Or selon ton énergie, selon tes capacités du moment, tu connectes à différents espaces et tu invites donc des énergies qui correspondent à tes capacités du moment. Je suis en quelque sorte l’énergie appelée qui correspond à tes capacités du moment. Tu as ouvert le canal, et je suis là. Nous sommes ensemble, même si pour te simplifier les perceptions nous semblons séparés.
— Mais alors quand nous évoquons l’esprit du chêne, c’est aussi un leurre ?
— Oui et non. Si tu projettes un esprit du chêne, c’est une invention. Une pensée projetée. Mais si tu évoques l’esprit du chêne et que tu restes ouvert dans ton espace visionnaire, que tu acceptes d’être un canal, une énergie apparait.
— Comment faire la différence ?
— Ton cœur le sait. L’espace visionnaire est un espace que tu peux penser. La pensée n’est pas une ennemie. Elle n’est pas néfaste. C’est juste que la pensée au service de ses habitudes te fait sortir des espaces visionnaires. Les pensées qui viennent comme outils pour interpréter ce que l’espace visionnaire déploie, ce sont des pensées qui te permettent d’affiner tes perceptions. L’espace visionnaire passe par ton cœur. Ton cœur d’abord…Du moins ton cœur avant les pensées. Quand tu es ouvert, tu es en partie dans la matière, et en partie dans d’autres dimensions. Tu es présent à la fois dans ton corps physique, et à la fois dans d’autres espaces. C’est là que nous nous retrouvons. Même si tu as l’impression que ça se passe dans ta tête ou dans ton corps.
Cela se passe ailleurs, mais la perception finale est dans ton corps.
— Je ne suis pas sûr de comprendre.
— Si, tu comprends. Tu le sens. Et d’une certaine façon, tu le sais. Puisque tu le vis et tu le sens. Mais tu cherches à interpréter avec des mots d’une autre dimension. De ton monde habituel. Et là, tu ne peux plus interpréter. Car le monde « habituel », la dimension de la densité et de la matière, ne connait pas encore ces principes. Vous en êtes à des balbutiements au niveau collectif, même si certains êtres sont déjà des canaux bien ouverts.
— Mais pourquoi si cela nous permet de sortir de nos délires et de nos histoires débordantes, pourquoi est-ce que nous ne cherchons pas tous à vivre cette expérience multidimensionnelle ? Pourquoi est-ce que nous ne suivons pas les enseignements de ces canaux ouverts que tu évoques ?
— Simplement parce qu’ils ne sont pas vus. Si je reprends l’image du bord de la plage, l’être assis devant les vagues qui viennent le mouiller sans cesse, attend la prochaine vague en regardant la mer devant lui, sans voir que sur la plage derrière lui, un être marche paisiblement.
— C’est marrant pour un chêne d’évoquer si souvent la mer…
— J’utilise les images dans ton espace mémoriel. Ce sont tes images. Ce que je te propose n’est qu’énergie. C’est ton espace de perception qui en interprète des mots, des images… Je te l’ai dit, nous sommes ensemble. Tu perçois, et pour que cela devienne plus dense, qui tu le perçoives mieux, tu passes par des outils que tu connais. Des mots, des images, des sensations…Cela te permet de mieux t’imprégner. En quelque sorte, tu es mouillé d’invisible et de lumière.
— J’aime tes images
— C’est normal, ce sont les tiennes.
— Ah oui, faudra que je m’y fasse si je reviens te rencontrer. D’ailleurs, est-ce que tu existes en dehors de cet espace intérieur où je te rencontre maintenant ?
— Oui. Il n’y a pas de séparation entre intérieur et extérieur. Juste des sensations qui donnent l’illusion de séparation. Tu es un canal. À chaque instant. Et ces espaces que tu rencontres, ces apprentissages que tu fais, te permettent de faire vivre un peu plus cette notion de canal.
— Tu veux dire que je suis un canal parmi les différentes options chez les humains ?
— Non, un humain est un canal potentiel. Chaque humain. Ce que vous appelez un chemin spirituel est une façon de découvrir et d’explorer la condition « canal ».
— Merci
— Je ne sais pas à qui ou à quoi tu dis merci. J’entends tes mots, ou du moins je perçois cette énergie que tu évoques dans « merci ». Et nous la partageons ensemble.
Je me mis à sentir. Je voyais intérieurement les feuilles vert tendre de chêne. Je sentais la présence bienveillante qui venait de partager avec moi. Je me sentais bien. Paisible. Empli de sensation si particulière que l’on nomme parfois « amour ». Un amour ambiant. À l’intérieur et à l’extérieur. Et je sentais que cet amour est accessible à tous les êtres. C’est un fruit que l’on rencontre sur le chemin. Un fruit à la saveur unique et à la fois multiple. Un fruit qui emplit tout l’espace. Et je sentais que ce fruit est issu de ces espaces où nous pouvons aller et y rencontrer des êtres si inspirants, comme ces esprits des arbres.
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