J'aimerais bien que tu puisses donner ton éclairage sur le tabac, plante maitresse s'il en est, mais qui fait tant de ravage sur la santé de la planète et de ses occupants.
Je suis fumeur, à la consommation moyenne, souvent abstinent, mais j'y reviens tout le temps, comme si la plante avait une emprise sur moi. Je n'arrive pas à en faire le deuil. Elle reste accrochée quelque part, mais à quel niveau : physique, émotionnel, mental, spirituel ?
Si le sujet te branche...
Remy
Simon
Ha le tabac ! S’il fait des ravages sur la santé de la planète et de ses occupants, c’est bien malgré lui. Et oui, il ne pourrait pas faire autant de dégâts sans notre précieuse aide : il est mal consommé, mal utilisé, mal cultivé… sans jugement culpabilisateur, s’entend, évidemment. C’est un constat, un peu froid et général.
Maintenant, il me semble important d’aborder trois choses pour répondre à la question : la relation d’addiction, la toxicité et le tabac en lui-même.
Je vais commencer par la relation d’addiction. Je vais même commencer par la relation tout court. Pour moi, tout est relation, tout est relatif. Lorsque l’on consomme une plante, le résultat que l’on observe dépend grandement de notre relation à cette plante : la valériane pour certains, peut avoir l’effet inverse que celui escompté et observé pour la majorité de la population (à savoir, induire et provoquer le sommeil). Deux choses là-dedans : sans rentrer dans les détails, il y a évidemment une question d’interaction entre la chimie de la plante et votre chimie interne.
Mais à mon sens il y a aussi une question d’interaction entre son esprit et son énergie et la vôtre. Autre exemple de ce phénomène de relation : certaines personnes vont avoir des effets bœuf avec des doses moindres, d’autre vont avoir des effets inattendus, etc.… tout découle encore une fois des relations aux choses. D’ailleurs pas seulement de la relation à une plante directement, mais aux plantes en générale voire même à tout ce qui gravite dans son « monde cosmogonique ». Pour prendre l’exemple du tabac, très souvent dépeint comme « un grand-père », un archétype « martiale », très masculin, symbole d’ordre, d’autorité et de discipline (pas qu’évidemment et même, dans certaines traditions, il revêt plutôt des attributs féminins). D’expérience, lors de l’usage du tabac dans mon travail en Amazonie, lorsqu’il y avait un conflit avec l’une de ces représentations (un père ou un représentant de l’archétype paternel trop autoritaire, violent, absent ou effacé) l’effet que produisait le tabac sur la personne pouvait se trouver décupler, plus inconfortable, plus désagréable, voire plus violent. Attention de ne pas en faire une généralité, évidemment.
Pour conclure ce point, donc, la relation que l’on entretient avec une plante à un impact sur ses effets et les effets que nous fait une plante sont de bons indicateurs de notre relation.
Et l’addiction, donc ? Je ne suis pas addictologue et je ne traiterais pas de l’addiction physiologique que peut provoquer la nicotine. D’ailleurs, pour être exact, il semble que la nicotine, bien qu’elle ait indéniablement une action addictive, ne soit pas le seul principe actif ou composé chimique responsable de l’addiction au tabac.
Je ne parlerais pas non plus du cofacteur social de l’addiction au tabac (vous savez, le fait que cela tisse du lien).
Pour faire large, quel que soit le produit, la consommation ou le comportement addictif, il répond à un besoin. Souvent nous réglons nos addictions à une substance en particulier en lui substituant autre chose (par exemple le tabac par des chewing-gums ou du sport) ce qui en soi n'est pas une mauvaise chose. Mais le besoin n’est toujours pas comblé (et ne le sera-t-il jamais ?). Quel est ce besoin au juste ? Ça, c’est une réponse qu’on est souvent seul à pouvoir donner. Pour ma part, je n’ai encore pas réussi à y répondre ! ma tentative d’y répondre m’a mené à une conclusion : ce n’est pas tant d’y répondre de manière définitive qui est important, mais plutôt le « comment » on propose des réponses qui évolueront peut être avec le temps.
Pour être clair : si au départ je répondais à mon besoin existentiel difficilement identifiable en fumant, en buvant, en me droguant (avec l’une des plus puissantes plantes maitresses qui soient, le cannabis) de manière débridée, chaotique et explosive, aujourd’hui à force d’introspection et d’amour, j’apprends à changer ma façon de répondre. J’apprends à changer ma relation aux choses que je consomme, à moi-même et à tout ce qui m’entoure. Je prends en main ma part de la relation toxique ! et oui, la fameuse… car une addiction au tabac n’est rien d’autre qu’une relation toxique. Ce n’est pas le tabac qui est toxique en soi. D’ailleurs, pour reprendre l’analogie avec les relations humaines, ce ne sont pas monsieur ou madame X ou Y qui sont toxiques en eux-mêmes. C’est la relation qu’on tisse avec eux. Et parfois mieux vaut abandonner toute velléité de relation proche, intime ou amicale pour le bien de toutes les parties.
La toxicité, donc, est affaire de relation. Maintenant, il est indéniable, que d’un point de vue toxicologique, peu importe votre relation au tabac, il est chimiquement capable de provoquer de sérieux dégâts, de sérieuses maladies ou, dans les cas extrêmes, de tuer à petit feu ou brutalement. Mais, on a un dicton en phytothérapie, qui nous vient de Paracelse : « c’est la dose qui fait le poison. »
Je rajouterai aussi : « c’est la fréquence qui fait le poison ».
Une goutte de nicotine pure sur les lèvres et c’est la mort. Fort heureusement, elle est détériorée par la combustion et les doses inhalées par les fumeurs sont « moindre ». La toxicité ici relève donc en premier lieu de sa consommation régulière et en second lieu du dosage. Nous ne parlerons pas des adjuvants en nombres que les cigarettes industrielles contiennent et qui ne sont pas listés, qui sont clairement cofacteur de la toxicité du tabac dans nos sociétés. Mais nous constatons avec étonnement et un manque d’étude sur ce sujet, de l’impact moindre (voire de l’absence totale d’impact) sur la santé de l’usage sacré du tabac qui est très souvent consommé régulièrement et à doses importantes par les tabaqueros. À mon sens, indéniablement, il y a une maitrise rituelle de la transmutation et des connaissances que demande le tabac pour être ingéré et intégré. Il y a une relation sacrée qui se tisse dans le respect entre le tabaquero et le tabac. Mais il y a aussi d’autres modes d’assimilation : si certains inhalent le tabac, il est énormément fait mention d’autre façon de le consommer, lors de l’usage des mapachos ou cigarette. Certains ne l’inhalent pas et le souffle (ou « crapote » comme on dit par chez nous) simplement, d’autres « l’avalent » plutôt que de le faire entrer dans les poumons. Sans parler des autres formes d’usage et de préparation du tabac (tisanes, poudres, pâtes, emplâtre…). Notre méthode de consommation a donc un impact direct sur la toxicité et de facto sur le caractère addictif du tabac.
Et maintenant, faisons une supposition. Et si ce n’était pas une fin en soi de se débarrasser du tabac ? s’il n’était pas question de l’arrêter totalement, mais plutôt de rétablir une relation saine ? S’il vient titiller certains et ne les lâchent pas, c’est parfois (pas tout le temps !) parce qu’une histoire doit s’écrire. Pas forcément grandiose et spectaculaire. Vous n’êtes pas nécessairement destiné à être tabaquero si vous n’arrivez pas à vous défaire du tabac ! mais peut être devez-vous rétablir votre relation au tabac et recevoir ses enseignements. Les enseignements sont pour tous. Même ceux qui consomme le tabac dans une relation profane ! la clé pour réinventer sa relation ? La conscience, la présence, l’amour… le rite. On s’offre un temps de communion avec l’esprit du tabac en regardant sa fumée, en le remerciant, en le respectant, en l’honorant. C’est tout de même infiniment plus beau que de se griller une clope entre midi-et-deux en le foulant au pied pour l’éteindre et en le laissant gisant et encore fumant, sur le goudron. Bon, et évidemment, on cherche un tabac de qualité un poil supérieur à celui proposé en bureau de tabac (ce qui n’est pas nécessairement évident…).
En tout cas Rémy, en lisant ta question, m’apparait deux choses : tu parles d’emprise et de deuil. Mon chemin m’a forgé une opinion sur l’emprise qui n’est pas une vérité absolue, mais que je te partage quand même : il n’y a pas d’emprise possible s’il n’y a pas un espace ouvert à cette emprise. C’est en regardant et en habitant cet espace « ouvert », « vide » ou encore « blessé » que le tabac vient pointer du doigt avec insistance et de manière envahissante que tu pourras rééquilibrer ton lien au tabac et te débarrasser de cette emprise. Quant au deuil, il sous-entend un amour dans le lien qui t’unit au tabac. Quand le deuil ne se fait pas, c’est souvent que l’on pense, à tort, qu’il s’agit d’un processus visant à oublier ou se séparer de l’amour qui nous unissait à une personne, une relation ou un objet. C’est aussi que l’on désire ardemment pouvoir continuer de donner cet amour à l’objet qui en est le destinataire ou que l’on a de la peine à changer la façon dont on partageait notre amour. Là encore, le rituel est un outil propice et particulièrement utile : les rites funéraires ont ce rôle-là de permettre à ceux qui restent de faire leur deuil et de transformer leur relation à celui ou celle qui part. à toi de décider s’il te faut enterrer ton tabac ou ton ancien mode de consommation, mais il te faut indéniablement enterrer (ou incinérer, ou disperser) quelque chose. Quant à savoir précisément où « l’emprise » reste accrochée, au fond, ce n’est pas essentiel. Cela peut apporter de la clarification, c’est vrai, mais c’est bien souvent une recherche de notre mental contrôlant, qui veut comprendre pour se libérer. Si l’emprise est purement mentale (c’est-à-dire corps et intellect, réunis), peut-être pourra-t-il t’aider à te sevrer. C’est le cas de ceux qui arrêtent « par la force de leur volonté ». Ceci étant, concernant une addiction « physique » : la volonté ne fait pas tout lorsqu’il s’agit du corps et du plan physiologique et biochimique et parfois, même la meilleure volonté du monde ne peut pas faire face à une dépendance physiologique. Mais s’il y a des difficultés à arrêter par la force de la volonté, c’est qu’il y a des racines sur le plan émotionnel et spirituel (et peut être physique, bien que ta description de ta consommation me laisse à penser que ce ne soit pas le cas).
J’espère que tout ça te donnera matière à cheminer !
Stéphane
Pour répondre à cette question, je n’ai que peu d’expérience.
Je ne fume pas. Mes parents m’avaient autorisé à fumer dès l’enfance, j’avais des cigarettes et petits cigares, et je me rendais intéressant quand des amis fumeurs venaient à la maison et que j’essayais de fumer avec eux.
Je me souviens avoir aussi essayer de fumer en fin d’adolescence, sur un chantier de bucheronnage en montagne, pendant un hiver rigoureux. J’avais froid et je voyais les autres fumer. J’ai imaginé que la cigarette pourrait me réchauffer un peu les mains ou le corps. J’ai demandé une cigarette et j’ai constaté que rien ne se réchauffait.
J’ai ensuite rencontré le tabac en faisant des prières avec lui. J’ai marché un peu à la rencontre des traditions d’Amérique du nord et du sud. Prières, offrandes, purges de tabac. J’ai même planté quelques plants qu’on m’avait offert. Cela ne m’a pas vraiment réussi.
Je ne comprends pas la relation à la cigarette ou au tabac. Car je n’ai pas cette relation.
Je me suis mis à fumer la pipe. Je n’avale pas la fumée, je fume pour faire des offrandes de fumée, de parfums. J’utilise les plantes d’ici, comme l’armoise, la sauge, le romarin, le bouillon blanc… ça me donne une relation sacrée avec les plantes. Elles m’aident à écouter. Ecouter le silence. Ecouter la nature. Je sens une reliance naturelle dans ces moments-là.
Parfois je fume pour aider une personne, assainir l’air autour d’elle, quand des énergies semblent vouloir rester accrochées. Je fume aussi pour aider des personnes à revenir à leur corps quand elles semblent un peu ailleurs. La fumée de la pipe peut aussi inviter des esprits bienveillants ou protecteurs à prendre soin d’un lieu.
Beaucoup de personnes fument le tabac parce qu’elles recherchent la plante sacrée qui les ramène à l’écoute de ce sacré. Fumer n’est pas un problème. C’est juste que nous perdons le sens des choses. Nous oublions de poser des intentions et nous oublions d’être attentifs. Alors nous faisons par habitude, par répétition, en copiant ce que d’autres font.
Je pense que pour arrêter de fumer, une intention concernant la santé peut émerger. Mais il y a aussi un chemin autre. Celui de retour aux plantes sacrées. Ce chemin de retour vers la nature, vers une observation intérieure et extérieure de la nature. Il ne s’agit alors plus de vouloir arrêter de fumer, il s’agit de changer notre façon de fumer. Il s’agit de changer notre façon de vivre. Vivre pour vibrer et se relier. Vivre en offrande. En don de soi.
C’est simple, si quand une personne fume son teint devient grisâtre, ses pensées se ternissent, ou que son énergie baisse ou se sclérose, c’est qu’il y a quelque chose à changer à ce niveau. Arrêter ou transformer sa relation au fait de fumer ou à l’esprit des plantes. C’est simple car les indicateurs sont assez facilement perceptibles.
Et en faisant ce chemin volontaire de transformation, vous aidez d’autres fumeurs à retrouver leur chemin de transformation. En apparence, nous faisons cela pour nous même, mais en réalité, comme chaque leçon de la vie, nous faisons cela pour le partager avec autrui. Pour un monde meilleur.
Nos apparentes erreurs sont les leçons vivantes que nous savons le mieux partager. Si de nombreux fumeurs découvrent le chemin des plantes ou le chemin du sacré en changeant leur habitude, il y a une belle leçon là-dedans. Et une possible connexion avec nos frères d’Amérique qui nous ont confié, il y a bien longtemps, à nous occidentaux, une de leur plante maîtresse. Pour qu’elle nous enseigne…
Комментарии