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Abuelo

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Cet après-midi, j’ai aidé un petit peu un « abuelo ». Je vous écris cette infolettre depuis la Vallée sacrée, au Pérou.

J’ai aidé un abuelo à préparer la terre pour faire un peu d’adobe (construction en terre crue) chez mon amie Sara Luz. Dans un lieu à flanc de montagne proche du village d’Ollantaytambo.

Quelle joie d’être avec ce grand-père. Car si « abuelo » désigne un grand père, c’est aussi dans certains cas une façon de reconnaître la sagesse ou une spiritualité particulièrement expérimentée chez certaines personnes âgées. Ce sont les Anciens d’Amérique du sud.

  Il y avait chez cet abuelo une façon particulière d’être heureux. Il chantait et riait beaucoup avec mon jeune enfant. Et il avait aussi une façon particulière de faire chaque chose. Lorsqu’il a pris de la coca, il a prié avec chaque feuille et avec la montagne. Quand il a travaillé avec la pioche il avait une façon particulièrement douce et emplie de présence pour préparer le mélange d’adobe. Sa façon de mélanger la terre et l’eau, paisiblement, sans parler, avec le geste à la fois précis et simple, c’était un régal de l’aider.

Chaque pause était aussi une façon d’accueillir la chicha, boisson sacrée des incas à base de maïs fermenté. Il avait une façon de boire sa chicha là aussi très inspirante. Le geste lent offrait d’abord de la boisson à la Terre. Avec des paroles en quechua vibrant d’amour et de prières. Puis il buvait ensuite. Lentement, silencieusement.

« Viens t’assoir à côté de moi » m’avait-il juste dit. Puis nous étions restés silencieux face au mélange de terre et d’eau qui commençait à avoir belle allure. Il y versa d’ailleurs là aussi un peu de cette boisson sacrée.

Puis nous sommes restés silencieux côte à côte, face au tas préparé et aux montagnes majestueuses.

 

Quand le repas fut prêt, nous avons rejoint les femmes qui avaient réalisé l’almuerzo (repas de midi). Il y avait Sara Luz, sa maman (abuela) et Lucie. Nous avons tous mangé ensemble, en silence. Il semble que la façon la plus honorable de manger avec la plupart des communautés que je rencontre, c’est de manger en silence. En étant ensemble. Vraiment ensemble. Les humains, la nourriture, l’espace qui accueille ce repas… J’ai souvent remarqué que les repas avec des personnes de communautés autochtones se faisaient dans le silence. Quand on mange, on mange. Quand on parle, on parle. Chaque chose à sa place.

Manger ainsi donne au repas une dimension emplie de présence. Et la nourriture a un autre goût. C’est ainsi que j’ai mangé à côté de cet Ancien. Paisiblement.

 

C’est extraordinaire de manger avec des êtres paisibles et silencieux. Je ne sais pas si cela vous est arrivé, ou si cela est votre quotidien, mais manger ainsi apporte quelque chose de très simple et spirituel à la fois. Faire cela avec un abuelo, ou une abuela, et en plus dans les montagnes, c’est un peu comme plonger dans une méditation avec un grand maître.

 

J’avoue qu’en France, je croise peu d’Anciens. De ces êtres paisibles, inspirants, polis par la vie comme de magnifiques galets de rivière. Des êtres capables, par leur façon d’être au monde, d’amener une vibration dans l’espace autour d’eux. Une vibration paisible. Heureuse. Emplie de sacré.

C’est devenu rare de voir des Anciens parler aux montagnes, à la Terre, à l’eau… Parler non pas à la matière, mais à cette présence que porte la matière.

Et lui demander la permission. La rencontre dans l’instant présent. Si la Terre est d’accord avec cela, que la rencontre ait lieu. Sans grandes démonstrations. Une permission. Puis avec l’accord de la Terre, le travail se fait.

Avec un abuelo, nous sommes tous des enfants. Admiratifs. Inspirés. Hors du temps. Simplement heureux.

Avec un abuelo, ou une abuela, nous apprenons une forme de spiritualité vivante. Sans jugement. Une lumière en nous s’éclaire au contact de cette lumière que porte l’Ancien. Et nous devenons beaux. Comme des soleils. Beaux et rayonnants.

 

         Chaque jour et chaque nuit, nous affinons cet abuelo ou cet abuela que nous sommes. Chaque jour qui nous éloigne un peu plus de la croyance que nous sommes un corps qui pense, ou qu’il n’y a que la matière. Chaque moment où nous nous dissolvons dans la présence de l’Esprit, nous devenons un peu plus imprégnés de cette vibration lumineuse. Et à force d’aller-retour entre la matière et l’absolu, nous devenons un canal ouvert. Nous devenons un portail vers cette dimension de l’être qui est non séparée de l’eau, de la Terre, des esprits des mondes d’en bas ou d’en haut. Nous devenons frères ou sœurs de l’eau, des montagnes et des étoiles. Dans une parenté si vivante qu’elle est perceptible dans nos gestes, dans nos regards, dans nos pensées et nos paroles.

 

Chaque voyage dans l’acceptation d’être cette qualité sans histoire, juste présente et ouverte, nous rapproche un peu plus de la sagesse qui vit hors du temps et des concepts. À force de voyages intérieurs, de libérations et transformations, nous devenons une émanation vibrante aussi vibrante qu’un nuage ou qu’une goutte d’eau profondément heureuse.

 
 
 

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