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Sens unique (texte et podcast)



Lorsque j’allais voir Oriandre, je lui amenais des offrandes en nourriture, en bougies et encens. C’est ainsi que j’aime aller voir ce vieux sage. Comme il n’avait pas de voiture, parfois je le conduisais faire ses emplettes, me mettant à disposition et réglant ses achats. C’est précieux de pouvoir prendre soin d’un sage, d’un ancien.


Un jour que nous roulions pour ses achats dans la petite ville proche, il me dit : « la vie n’a pas de sens. Ni de sens unique, ni de sens interdits ».

Je restais silencieux, à la fois ouvert à ses paroles, et à la fois attentif à la circulation.


Il continua, comme il le faisait parfois, sans savoir si je l’écoutais ou pas. Je pouvais rester silencieux. Libre à moi de recevoir les paroles de l’instant ou pas.

- L’existence est comme un chemin. Il est bordé de roses. C’est-à-dire bordé de fleurs et d’épines. Parfois on y laisse un bout de tissus, un peu de nous-même, mais il est toujours possible d’avancer. De cheminer.

La vie, ce sont les fleurs qui bordent le chemin.

A quoi sert la plus belle des fleurs ou le plus merveilleux des parfums s’il est diffusé à l’autre bout de la terre ? Tu n’es pas là pour le sentir. Pour toi, il n’existe même pas.

La vie, ce sont les fleurs qui sont le long de ton chemin. Ton chemin. Pas celui des autres, ni le meilleur chemin. Ton chemin. Car celui-ci est le meilleur chemin. C’est le chemin de ton existence.

La rose, c’est la beauté, le parfum et les épines.

Tu peux choisir la beauté, et te mettre en résonance avec. Ou même essayer de la saisir, mais la beauté du visible est éphémère.

Tu peux choisir le parfum, et essayer de t’enivrer avec. Tu peux même essayer de le saisir ou de le distiller. Mais la délicatesse enivrante du parfum est éphémère.

La beauté et le parfum laissent une trace éphémère si tu veux les saisir, mais une empreinte indélébile si tu sais les accueillir.

Les épines, ce sont les difficultés et les obstacles. Tu peux essayer de les enlever, mais il manque quelque chose d’essentiel. Les difficultés elles aussi sont éphémères. Cependant, après la difficulté, tu te souviens de la beauté de la rose. Et l’instant suivant, tu ressens son parfum.

Il n’y a rien à saisir.

Certaines choses ont un sens sur l’instant, d’autres ont un sens bien plus tard. Et encore plus tard, un autre sens.

Ce qui importe, c’est l’accueil que tu fais.

Il ne sert à rien d’enlever les épines de toutes les roses sur ton chemin. Certaines fleurs ont des épines, d’autres n’en ont pas.

Certaines fleurs ont un parfum, d’autres n’en ont pas.

Certaines fleurs sont particulièrement belles, et d’autres plus discrètes.

Il y a de tout sur ton chemin. Tu ne peux entrer en résonnance avec tout, sauf quand tu acceptes le tout. Quand tu accueilles. Car il y a de tout et il y a du tout.

Oui, du tout et de tout.

Et toi, tu es le marcheur. Autrement dit tu es la conscience de l’instant. La conscience qui parcourt le chemin de l’existence. Qui rencontre le tout.

Il n’y a aucun sens à tout cela. Aucune destination. Aucun cap à tenir, ni objectif à atteindre.

Le chemin continue à l’infini. Par-delà l’horizon. Un jour tu es sur terre, et le lendemain tu passes une haie et tu crois que c’est un buisson alors que tu es passé de l’autre côté du plan terrestre.

Et le chemin continue.

La mort, c’est la vie qui continue.

Tu n’es pas obligé de tout saisir, ou de tout accepter.

Accueillir, ce n’est pas accepter.

Accueillir, c’est être le tout qui s’accueille lui-même. Le tout qui accueille le tout.

Rien ne t’oblige à laisser glisser ta main sur les épines pour un temps donné ou pour l’éternité.

Accepter, c’est s’attarder sur un détail et lui donner une importance qu’il n’a pas.

Accepter ou ne pas accepter, c’est choisir de s’arrêter un instant ou de reprendre sa marche.

S’attarder, c’est rester dans le temps. C’est sortir momentanément du mouvement pour s’arrêter.

Le tout ne s’arrête pas. Le tout est le tourbillon. Il tourne et retourne. Il virevolte à chaque instant.

Si tu chemines sans t’arrêter, tu es avec le tout. Tu marches d’un pas léger. Tu es porté par le chemin lui-même, et les papillons deviennent des anges… »


Nous étions arrivés devant le magasin. J’avais arrêté la voiture, tourné la clé de contact et je savourais ces dernières paroles. Un profond silence s’ensuivit.

Oriandre ouvrit sa portière et sortit pour se diriger d’un pas assuré vers le magasin.

Je restais avec le parfum de ces paroles. Avant qu’elles ne s’envolent, je souhaitais vous les partager. Je pris mon carnet pour y noter ce que j’en avais retenu. Puis j’ai rejoint Oriandre et nous avons fait les courses.

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