Enterrer nos morts
- Stéphane Boistard

- 14 août
- 7 min de lecture

Je pense parfois à ce dessin animé qui m’avait marqué : Mulan.
Je garde de ce dessin animé une trace particulière. Le dessin animé commence par une jeune femme qui va dans un petit édifice dans un jardin. Un petit temple, où elle vient discuter avec les esprits de ceux qui l’ont précédé. Et elle vient demander de l’aide et écouter des réponses. Les esprits familiaux s’expriment et envoient un allié, un être féerique pour aider cette jeune femme.
Dans les huttes des nomades occidentaux, jusqu’au siècle dernier, ces huttes étaient faites avec des branches de saule ou de noisetier, et parfois de perches d’autres essences, comme le frêne. Le lit était fait de paille, et de ballots de paille depuis l’avènement des tracteurs, sur lesquels étaient posés des draps et des couvertures. Au niveau de la structure de saules ou noisetiers, les perches étaient assemblées pour former une structure qui ressemble à une serre, ou aux « maisons longues » des indiens du Canada. Les nomades liaient les perches de bois avec des tissus. Des tissus blancs pour nouer la plupart des perches, et au sommet quelques tissus noirs. Les tissus noirs représentaient les défunts. Afin de continuer à vivre avec eux, de sentir leur présence et de parler avec leur esprit.
Dans un monde où nos références sont principalement matérielles, nous « enterrons nos morts ». Une vie matérielle s’interrompt avec le décès de ce que nous appelons une personne, et ensuite la plupart du temps, après une phase de séparation (deuil) nous n’avons plus de relations avec ces personnes. Éventuellement des souvenirs, ou un effort de mémoire en allant fleurir une tombe et parler au passé. Quelle relation entretenons-nous avec l’invisible ? Avec les défunts, les esprits des plantes, les esprits des roches, des montagnes et des étoiles ?
Les écrits de Roland de Jouvenel, Jean Winter ou Paqui, par exemple, témoignent de cette simple notion que la mort n’est pas une fin, mais un passage dans un autre état, un autre monde, avec lequel nous pouvons tisser une relation. Non pas une relation distante, mais aussi accueillir dans le canal que nous sommes ces esprits ou des qualités manifestées par les esprits. Nous pouvons accueillir en nous des qualités lumineuses, ou si nous ne sommes pas attentifs à ces énergies qui circulent, canaliser un peu tout ce qui se présente : des émotions diverses et variées, des addictions, des pensées venues de divers endroits du ciel…
Une pratique chrétienne consiste à inviter la présence du Christ à chaque instant dans le canal que nous sommes. Une autre pratique invite à laisser entrer en soi la présence de l’arbre, du lac ou de la montagne. Les laisser apporter une énergie dans l’espace ouvert de ce que nous sommes. Orienter nos souhaits et notre accueil spirituel vers les esprits de la nature (et dans la nature).
Dans la Bible, il y a ces « Evangiles » (« témoignages ») où un disciple du Christ évoque ce qu’il a vécu. Comme cette journée intense concernant cette approche des esprits et de la canalisation (le fait d’être canal). Je me permets de reformuler ce passage afin d’en proposer un éclairage simple (Matthieu 8. 18-34).
Tout d’abord, Jésus souhaite s’éloigner de la foule qui se presse autour de lui. C’était au bord d’un grand lac. Il ordonne à ses disciples de monter dans une barque afin d’aller de l’autre côté.
Un disciple lui pose une question, et Jésus répond : « Les renards ont des tanières, les oiseaux du ciel ont des nids, et le Fils de l’homme n’a pas un endroit où il puisse reposer sa tête ». On pourrait déjà entendre qu’au-delà des apparences de ce qui concerne la vie sur terre, la tête et l’espace qui perçoit n’est pas reliée au plan terrestre, mais à d’autres plans.
Mais ce n’est pas forcément entendu, et un autre disciple insiste et demande à aller enterrer son père. Le Christ revient sur cette notion de vie sensible : « Laisse les morts enterrer leurs morts ». L’esprit des défunts continue de vivre. L’âme immortelle continue de vivre, et il nous appartient de faire une coupure ou pas. De caler notre « sentir » à un autre niveau que celui précédemment vécu, à travers les sens habituels, un toucher, un parfum, un son… vers une autre façon de percevoir.
D’autres niveaux de réalité qui permettent d’entrer dans une autre relation avec le vivant, ce que le Christ fait dans la foulée.
Car sur le lac, le vent monte, les vagues se soulèvent, et une tempête se manifeste. Le Christ paisible semble dormir, et les disciples apeurés le sollicitent. Il discute avec l’esprit du vent, et l’esprit de l’eau, comme cela se fait chez de nombreuses nations indigènes, et comme cela se fait depuis la nuit des temps. D’un seul coup, le vent devient doux et les vagues s’amenuisent.
J’ai vécu cela avec des guérisseurs Philippins alors que nous avions été sollicités pour prier à l’approche d’un cyclone qui menaçait de dévaster des champs et habitats de la population côtière de l’île de Luzon. J’ai pu constater que les prévisions météorologiques ont évolué étrangement.
Mais bon, revenons au Christ avec ses disciples. La traversée finit dans de bonnes conditions grâce à cette discussion avec l’esprit des éléments et l’apaisement des éléments qui s’ensuit.
La petite troupe arrive sur l’autre rive du lac pour un court moment. Et ils peuvent tous voir, peut-être parce que leurs yeux commencent à s’habituer au monde invisible, deux êtres sortir de terre à l’endroit où ils avaient été enterrés. Deux esprits qui sortent de leurs tombes.
Un défunt qui n’est pas préparé à la vie après l’existence terrestre est généralement perdu et désorienté (comme le témoignent de nombreux écrits médiumniques).
Dans ce passage, avant de reprendre à nouveau son voyage sur la barque, Jésus aide ces esprits désorientés. Ils ne savent pas où aller, ayant quitté leurs corps enterrés, et regardant sur la terre où aller, quel corps incorporer. Le Christ les aide à intégrer des corps de porcs et une fois que ces esprits intègrent ces animaux, ils se suicident en se jetant d’une falaise. C’est une façon de revenir à l’espace des défunts, à l’espace autre, et ces esprits vont ensuite vivre là un nouveau départ.
La tête est le lieu où se concentrent nos sens. Nos perceptions. Nous pourrions imaginer que c’est aussi de là que nous percevons les pensées. En fait, les pensées sont perçues depuis un espace intérieur. Pas uniquement un organe. Cet espace intérieur est complexe. Un peu comme une spirale. Une constellation. Où naviguent de nombreuses informations, et parmi cette masse d’informations, nous en privilégions certaines selon notre énergie du moment.
L’espace qui perçoit continue de vivre une fois que nous sommes morts. C’est ce que témoignent de nombreuses traditions à travers le monde depuis la nuit des temps. Et plus récemment, c’est ce que témoignent les récits de « mort provisoire » (NDE et autres appellations voisines).
L’espace qui perçoit n’est pas attaché au corps physique. Il est indépendant et continue de percevoir après la mort. De percevoir différemment, car les sens habituels attachés au corps restent avec le corps. L’âme a ses propres sens et perceptions.
L’espace qui perçoit est appelé parfois « âme », « conscience » ou d’autres appellations selon les langues et cultures qui évoquent cela.
Notre posture vis-à-vis de la mort, vis-à-vis de l’âme entraine une façon de vivre. Si nous sommes purement un corps qui pense, s’il n’y a pas d’âme, alors nous essayons de profiter au maximum de plaisirs liés à la matière.
C’est une façon.
Ce que je remarque, c’est que les êtres qui m’ont jusqu’alors inspiré n’ont pas ce rapport à la matière. Les êtres qui m’inspirent ont un rapport à une vie spirituelle intense. Ou du moins ont une autre approche de ce qu’est un humain.
Il est intéressant de constater que le dictionnaire ne donne pas de définition de l’humain : « ce qui est caractéristique à l’homme », ne veut pas dire grand-chose.
Le Muséum d’Histoire Naturelle fait une tentative de définition : « un humain est un animal faisant partie des primates, et plus particulièrement des grands singes, qui est bipède et dont le corps s’est adapté à cette bipédie.
La définition de ce que nous sommes, d’être humain, nous appartient. C’est ce que nous vivons intérieurement, ce que nous vivons corporellement, et ce que nous projetons sur les êtres qui nous entourent.
Il est curieux de noter que nous semblons si bien connaitre ce qu’est un humain sans arriver finalement à poser des mots ou une définition acceptable. Et pourtant dans nos relations, nous semblons avoir un consensus, un accord non verbal et non formulé, à travers notre façon d’aborder l’autre et d’aborder notre existence.
Les êtres heureux ou paisibles qui m’inspirent ont une vie spirituelle riche. Et cela transparait à travers leur énergie, à travers les qualités que cette vie spirituelle déploie.
Je trouve souvent étrange que dans des cultures où la vie spirituelle est présente on trouve des sages et des êtres inspirants, alors qu’en occident ce soit si difficile à rencontrer. Dans les Andes, ou des villages d’Amazonie, ou les terres d’Inde, il est assez facile de rencontrer des sages et de s’assoir un instant en leur présence, voire quelques heures, quelques jours, ou même plusieurs années.
En France, je trouve que cela est beaucoup plus compliqué. Où sont les êtres qui nous inspirent ? Comment se relier à leur énergie ?
Quand allons-nous nous assoir avec des êtres qui nous inspirent ? Qui nous aide à révéler le trésor de sagesse et d’amour qui vit en nous ?
Quelle magie nous relie aux mondes sensibles et aux espaces invisibles ?
Nous pouvons continuer d’enterrer nos morts et rester des morts en attente. Ou nous pouvons ouvrir notre champ de perception. Ouvrir notre façon de nous percevoir et de nous relationner aux autres et à la vie. Cela n’attend que nous. Que notre acceptation de l’être lumineux que nous sommes, de cet esprit qui ne demande qu’à se révéler ici et maintenant.

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