Joli film
- Stéphane Boistard
- 22 mai
- 6 min de lecture

Une amie me dit « tu sais Stéphane, il y a aussi les contraintes de la temporalité. Je sais que tu es axé sur une vie spirituelle, mais il y a aussi la vie matérielle et ses contraintes. Le temps, l’argent, et toutes sortes de choses. »
Peut-être avez-vous déjà entendu cela. Ou peut-être l’avez-vous pensé. Moi-même, je le pense souvent. « Il y a cette vie matérielle, ce monde de densité, et un ensemble choses à faire : travail, les courses et la cuisine, réparer la voiture, entretenir des relations sociales… ». Je ne sais pas pour vous, mais je le pense tellement fort et tellement souvent que lorsque je me réveille, c’est presque devenu automatique. Je pense déjà à ma journée. Je me plonge tout de suite dans mon environnement habituel et familier : la cuisine, le salon, l’armoire où sont mes vêtements, la salle de bains pour la toilette matinale de mon corps, la façon dont je vais organiser mon temps…
Oui, c’est devenu automatique.
Et cet automatisme m’est devenu familier car je partage mon quotidien avec des personnes qui ont le même fonctionnement. Nous sommes différents, pas le même corps, pas la même maison ou la même voiture, mais nous fonctionnons sur le même principe en apparence. D’ailleurs, il y a une partie de moi, une part intérieure, qui sent que notre vibration est assez similaire et que nous allons dans le même sens.
Tout cela n’est qu’un film. Et dans ce film, mes pensées sont si sollicitées, si actives, que je ne me rends même pas compte que c’est un film. Une projection. Toutes sortes de pensées et émotions se bousculent, alimentent des perceptions et des histoires, et je me rends à peine compte que le soleil a fini sa course dans le ciel et que je vais me coucher, sans avoir vraiment rencontré quelque chose de profond. J’ai eu des émotions de joie et d’autres de colère ou de tristesse, mais au fond, quand je vais me coucher, je me rends compte que la journée est passée vite. « Encore une journée de finie ».
« Il y a aussi cette vie matérielle » implique que autre chose existe. Cet autre chose peut devenir une exploration. C’est le grand jeu de l’exploration spirituelle. L’exploration d’un espace intérieur et d’une qualité que dans le monde habituel et familier nous n’avions pas encore rencontrés. Et pourtant, il s’agit de notre nature véritable.
Dès que nous commençons une exploration spirituelle, nous entrons dans une autre possibilité de vie. Car il y a assez rapidement un choix à faire : suis-je un être mortel, qui est né un jour et va mourir un autre jour ? Ou est-ce que je suis autre chose, qui va percevoir ce corps mourir un jour, mais qui va continuer son existence ?
L’exploration, c’est la découverte au-delà de tout concept, par l’expérience directe, que nous existons en dehors de ce film dont nous étions l’acteur principal dans notre vie habituelle. Nous existons en dehors du corps physique. Et nous endossons cette enveloppe physique pour faire une expérience supplémentaire. Mais c’est un ajout. Ce que nous sommes vraiment existe de façon autonome.
Ce que nous sommes peut utiliser un autre corps, d’autres sens. Nous pouvons voir avec d’autres yeux par exemple. La vue qui habituellement sépare et donne l’illusion que tout est attaché à la forme, peut devenir autre. Si vous regardez un arbre, honnêtement, sans essayer de vous convaincre que c’est un être vivant, sans projeter une histoire sur ce qu’est un être vivant, vous voyez un tronc et des branches plus ou moins feuillues. Vous voyez bien que c’est comme un objet. Comme cet objet change de forme, qu’il a des feuilles, on l’appelle être vivant. C’est une convention. Un concept.
Et si vous observez honnêtement, vous voyez que ce concept, vous l’appliquez avec le chien de la voisine ou les fleurs sur le rond-point du village. Et même avec la plupart des humains. L’eau, la montagne ou les étoiles sont perçus, peut-être moins vivants. Le concept est changeant à leur sujet.
« Où est-ce que je vis ? Où est-ce que je suis tant mon cœur semble devenir froid ? Vite, il me faut d’autres pensées ! Mon portable peut-être ? Vite ! J’ai besoin d’émotions positives ! Je vais craquer sinon…»
L’exploration spirituelle est faite de craquages. Ces craquages sont les bases des métamorphoses. Et il s’agit bien de métamorphoses. Nous changeons de corps. Nous changeons aussi de regard. Être vivant devient plus qu’un concept. Cela devient une expérience. L’arbre devient autre chose qu’un objet. Derrière les coquilles vides émerge une présence. Et nous nous rendons compte que nous avons passé tant de temps et d’énergie à entretenir ces illusions. Ce vide.
Nous nous rendons compte que nous ne pouvons plus fonctionner sur un modèle qui n’est pas réellement le nôtre. Les histoires véhiculées par les médias ou les personnes de notre ancien monde ne fonctionnent plus. Nos mots ne parlent plus de la même chose. La vie, ce ne sont pas quelques feuilles qui poussent sur un arbre grâce à une multiplication de cellules et de la photosynthèse. La vie est autre. Elle se déploie.
L’amour est autre. Il n’est pas une vague émotionnelle. Il est une présence.
Il ne s’agit pas de se convaincre d’un nouveau concept. Car ce serait créer une nouvelle image de l’amour ou de la vie depuis notre film habituel.
Il s’agit de faire un pas de recul. Pas un stage ou un pèlerinage, car souvent nos rencontres fonctionnent sur le même mode que ce mode habituel d’un « moi » qui est ce corps pensant. Ce personnage.
Un retrait. Cela peut être sur plusieurs heures, comme un réveil nocturne. Ou sur plusieurs jours, comme une retraite. Se retirer des sollicitations habituelles. Voir nos compulsions à chercher à sortir de calme qui s’installe. Nos compulsions à chercher de nouvelles pensées, ou à projeter des intuitions importantes, ou même à manger un morceau ou regarder un instant un écran.
Le retrait passe par des moments de solitude. D’angoisses parfois. Nos compulsions sont souvent le développement de ces angoisses. Ce vide qui nous fait peur. Et pourtant, ce vide, tout comme la vulnérabilité qui l’accompagne, sont des passages vers d’autres mondes. Vers ces autres mondes dont parlent les traditions celtiques ou andines.
Sans spiritualité, nous fonctionnons selon une vision réduite. Un film horizontal auquel nous nous raccrochons. Nous restons centrés sur nous-même et la recherche d’une forme de confort. Cherchant à nous préserver des épreuves. Calculant, anticipant…Nous utilisons des jolis mots et des belles phrases, pour finalement nous sentir bien seuls quand l’épreuve arrive. Car même si nous cherchons à l’éviter, l’épreuve arrive. Petite ou grande, elle arrive. Nos tactiques d’évitement ont leurs limites.
Sans spiritualité, nous observons à un moment ou à un autre, qu’il nous manque quelque chose. Qu’il y a quelque chose de fou dans notre fonctionnement ou dans le fonctionnement des personnes qui nous entourent. Et nous n’arrivons pas à remplir, malgré toutes nos pensées et tous nos gadgets, ce vide qui semble nous attirer. Nous appeler. Un vide qui semble bien vide. Comme une mort. Froide.
Ce froid, c’est le froid de nos pensées. C’est le froid de la pellicule et de l’écran sur lesquels se passe le film que nous étions en train de regarder et auquel nous avions un rôle d’acteur.
Ce vide est un espace. Un espace de métamorphose possible. Ce vide est un possible. Une rencontre déterminante. Un espace qui peut devenir présence. Un espace qui change ce que nous nommons « vie » ou « amour ».
Nous y rencontrons une autre façon de penser. De percevoir. Une autre façon de nous relationner. Nous y rencontrons aussi une autre façon d’aimer.
Cet être que nous y rencontrons est l’être que nous sommes. Nous apprenons à nous rencontrer. Nous apprenons à nous laisser être. À permettre à cet amour, à ces énergies, à ces vibrations, de se déployer. Nous permettons à l’infini de se déposer dans le fini. À l’invisible de se déployer jusque dans le visible. Nous sommes à l’interface entre ce visible et cet invisible. Cet infini vibrant et des petites manifestations de cet infini.
Nous sommes dans cet espace qui perçoit et agit. Depuis cette interface. Touchant la matière de la main droite et la non matière de la main gauche. Au-delà de tout concept. Au-delà des jolis mots ou des jolies images. Nous percevons cela.
Dans un équilibre fragile et momentané, nous percevons que notre chemin est aussi comme tout ce qui se manifeste. Émanant de l’infini, de l’invisible, du sans forme, pour provisoirement prendre forme. Puis se retirer à nouveau. Plus ou moins loin dans ce sans forme. Dans cet infini qui vibre comme un soleil.
Lors des retraites dans la forêt que nous proposons, nous sommes vigilants à ne pas projeter avec notre regard une histoire. Un personnage. Nous ne pouvons pas savoir avec quoi vous connectez sur l’instant. Quelles sont les énergies qui vous traversent. Nous venons le regard ouvert. Le regard nu. Parfois certains sont Terre, arbre ou étoile. Nous percevons un rayonnement. Nous percevons que de cet infini une énergie est accueillie et enseigne. Soigne. Participe à cette métamorphose. Pour certains, ce sera plusieurs retraites. Ou des temps plus long. Peu importe. Un jour, à force de se retirer et à force d’aller rencontrer ce vide, un voile se déchire et un nouveau monde apparait. Unissant en nous ce fini et cet infini. Ce visible et cet invisible. Et l’amour apparait.
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