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L'Arbre de Grey Owl


Voici un texte que j’aime beaucoup. Ecrit par Grey Owl. Ce personnage hors norme qui partit de son Angleterre natale pour vivre dans la forêt du nord des Etats Unis, vivant son rêve de se comporter comme un indien. Il fut finalement adopté en tant qu’indien tant sa façon de penser et d’agir fit écho aux autochtones proches de son lieu de vie. Dans son texte « L’arbre », traduit par Jeanne Roche-Mazon pour les éditions Souffle, Grey Owl nous entraine dans un monde vibrant. Voici un extrait parmi d’autres. Il s’agit d’un grizzli qui vient s’établir au voisinage d’un grand pin.


« L’ours regardait ; il écoutait, et personne ne pourra jamais savoir quelles pensées étranges se reflétaient dans ses prunelles étroites et sagaces, ou quels désirs irréalisés faisaient frémir son corps puissant, tandis qu’il contemplait si longtemps et si fixement ces pays éloignés, inexplorés par lui, avec leurs espaces sans bornes et leurs habitants inconnus. Mais là n’était pas sa patrie et il ne s’y rendit jamais.


Le grand pin, géant lui aussi dans son espèce, et vieux lui aussi, comme l’ours, devint pour l’animal une sorte de majestueuse sentinelle à la limite de son domaine. La compagnie de cet arbre comblait peut-être chez le fauve quelque souhait obscur de sa vie solitaire.

Il en vint à comprendre, de façon vague, indéfinissable et confuse, que le pin, bien qu’il parut si tranquille et ne se déplaçât jamais, n’en était pas moins un être animé, un ami. L’ours, alors, imprima sa marque sur l’écorce avec ses dents. L’arbre ne s’était jamais senti mordre depuis l’époque où les incisives des lapins avaient tracé sur lui de petites égratignures ; son cœur s’entourait maintenant des cercles concentriques laissés par quatre cents années. Il reconnut pourtant cette morsure ; une étrange vibration parcourut ses fibres, et, à son tour, il prit conscience de sa vie. Lorsque L’ours s’éloignait, le pin sentait autour de ses racines le sol désert et nu. Dès que la grande bête brune venait reprendre sa place accoutumée, l’âme de l’arbre s’émouvait ; une sorte de frémissement passait en lui tandis que l’ours s’étendait, satisfait, sous l’ombrage.


Cette singulière amitié se prolongea pendant près d’un demi-siècle. Le gigantesque ours argenté se fit vieux, très vieux, même pour un ours. Un printemps vint où il demeura de plus en plus longtemps allongé chaque jour sous l’arbre.

À la fin de l’été, il ne bougeait plus que pour de rares visites au buisson à baies et au ruisseau, où il buvait, car il n’était plus capable d’attraper les truites agiles des montagnes.

La nuance des feuilles muait. Déjà leur gloire automnale colorait les bois ; le profil âpre des crêtes s’adoucissait dans le halo vaporeux de l’été indien. Un soir, juste avant que commença la chute des feuilles, l’ours gisait à sa place familière, près de l’arbre. Tout en écoutant le murmure paisible du vent dans les branches, il fixait les yeux sur cette prairie mystérieuse et lointaine, qui semblait plus vague à cette heure et plus lointaine encore que jamais.

Il s’était senti très las tout le jour, mais une grande paix descendait sur lui et il s’abandonnait à ses rêves. Les vastes plaines s’effacèrent, s’évanouirent ; la voix de l’arbre se fit plus douce, plus faible, plus lointaine. Elle mourut bientôt entièrement. Et la vie de L’ours s’éteignit.

Mais l’arbre sut que l’âme de l’ours demeurait."




Photo pin: Image parPeter H de Pixabay

Photo Grizzly: Image parskeeze de Pixabay

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