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Le Pont




La musique se voulait douce, mais elle était finalement un peu paisible, à peine appréciée. Dans cette pièce assez austère, où d’autres avant avaient siégé, je m’étais assis. Avec d’autres membres de ma famille. Et devant un écran qui passait des images d’oiseaux volant au-dessus de la mer ou d’espaces de montagnes, j’attendais. Quelques minutes ont suffi pour que derrière cet écran, dans une pièce emmurée, le corps de mon père soit entièrement consumé. Juste quelques cendres à récupérer.

 

Ce qui m’a surpris, dans l’instant qui a précédé, c’est d’entendre à quel point des personnes l’ont apprécié, ou l’ont aimé. Il a fait des choses que je ne connaissais pas. Certains ont témoigné.

 

Pourquoi est-ce que nous nous sentons si maladroits et si gênés dans cet instant sacré ? Pourquoi cacher ce feu ou se précipiter pour enterrer ce qui peut se faire en prenant le temps ?

 

Nous ne sommes pas que cette poussière ou la somme de quelques souvenirs. Bien sûr, ce qui était jusqu’alors perçu, touché, ce corps qui se meut et qui agit, nous ne le percevrons plus de la même manière. Nous ne le percevrons plus du tout. Car les choses changent. Ce qui a été appartient au passé.

 

Mais que reste-t-il présent. Qu’est-ce que la Terre ou le feu ne peuvent pas retirer ou transformer ? La matière se transforme. Le corps redevient effectivement poussière ou nourriture pour les vers. Mais qu’est-ce qui finalement a toujours été et que nous n’avions pas perçu tant ce corps semblait l’empêcher ? Tant nos pensées et nos visions sans inspirations semblaient voiler ?

 

Car il reste quelque chose. Quelque chose de sacré. D’un sacré qui ne parle pas d’une histoire, mais de ce qui est.

Personne ne disparait. C’est aussi futile que d’imaginer disparaitre en se cachant derrière un mur.

Ce qui reste, certains peuvent le voir, ou l’entendre. Ce qui reste, c’est une possibilité.

Il y a un meilleur. Un mieux que toutes les histoires que nous pouvons nous raconter.

Une invitation à monter à une échelle dont les barreaux se nomment compréhension, compassion, guérison, libération… chaque barreau de cette échelle nous rapproche un peu plus du Ciel.

Pas pour s’y perdre. Masi pour s’y retrouver.

 

Monter. Oui, monter et monter encore. Chaque pas sur cette échelle est un pas qui nous rapproche de notre nature vraie. Ce qu’aucun objet ne peut révéler. Rien de la densité ne peut y accéder. C’est notre propre lumière qui s’enfonce dans le mystère du ciel. Où chaque pas est un apprentissage et une libération de ce qui nous entrave. De ce qui nous aveugle.

 

Chaque pas vers ce ciel nous rend un peu moins influençable par les voix qui voudraient nous faire croire qu’il n’existe que ce qui est palpable avec le corps. Ce qui est mesurable avec des outils froids.

 

Dans le feu et dans la terre, quelque chose se transmute. L’âme, notre corps de lumière, apprend à lâcher ce qui a été. Pour déployer avec d’autres possibilités. Une autre liberté.

 

Je sais que mon père est présent. Pas dans ses enseignements ou nos souvenirs partagés. Des souvenirs pas forcément heureux. Mais pensant à lui, je sens mon cœur moduler. Lorsque je pense à ces souvenirs purement faits de chair et de matière, de mots parfois en trop ou pas assez partagés, une tension apparait. Quelque chose de non ajusté. De blessant ou de blessé.

Mais il y a cet autre père. Celui que je découvre détaché de ces histoires et de cette temporalité. Un père que je ne peux rejoindre que dans cet état de méditation ou de prière. Dans l’ouvert.

Je l’appelle, et je sens qu’il répond. À sa façon. Je sens son soutien. Je sens son amour. Je sens aussi certains regrets, lorsque lui aussi regarde ces instants blessés. Mais il les regarde depuis cet espace qui voit différemment. Et il m’invite à cet espace. À ce regard.

Mon père, je le vis au présent. À force de voir le feu, d’allumer ce feu dans mon foyer ou en extérieur, quelque chose semble se consumer. Et il ne reste que ce qui vraiment est. Une relation.

 

Rien, absolument rien, ne peut faire cesser une relation qui est faite pour continuer. Je le sens. Je le sais. Nous n’avons pas fini d’explorer l’amour. Nous avons commencé par ce qui n’était pas le plus heureux, nous continuons avec la plus belle part. Celle qui s’écrit de façon moins attachée. Les mots peuvent se délier. Il n’y a plus de langue pour exprimer. Juste un espace. Un espace entre nous. Un espace où nous pouvons nous retrouver. Un espace sacré.

 

Quand je le touche, c’est aussi un signe que je le reconnais. Cet espace sacré. Et Dieu sait si souvent je m’en tiens éloigné. Accaparé par les tracs d’un quotidien qui semble m’attirer dans un monde fait d’urgences. Alors je prends le temps. Je vole du temps au temps. Je crée un espace dans le temps. Une belle trouée. Et je reste. Je m’attarde là, au milieu de la ronde de ce qui tourbillonne et semble si accaparé.

Je vois cette échelle, sans savoir à quel étage je suis monté.

Peu importe. Le temps est sacré. Le lieu est sacré. Hors d’atteinte de ce qui pourrait être altéré.

 

« Je t’aime, tu sais » me dit cette voix que je ne connais pas et que pourtant je reconnais. « Je t’ai toujours aimé ».

Il faut un petit temps pour traverser le brouillard des souvenirs blessés. La voix guide. Parfois elle semble ne pas faciliter, alors c’est à moi de faire l’effort de monter un peu plus. Intérieurement, chaque montée, chaque gravissement est un peu plus de ciel intégré.

« Tu vois, ici c’est différent. Nous pouvons vraiment nous retrouver. »

Nous n’avions pas vraiment imaginé poursuivre ce lien au-delà de cette histoire terrestre, du moins c’est ce que j’avais imaginé. Peut-être volontairement planifié. Et il en est autrement.

 

Mon père m’apprend à accueillir ce que je suis. Ce que j’ai toujours été. Au-delà des histoires.

Nous sommes bien plus qu’une histoire fugace. Un corps éphémère. Nous sommes un quelque chose qui se détache un jour du corps que nous avons habité un instant.

La relation peut perdurer. Différente. Cette relation nécessite un chemin. Une acceptation. Accepter que cela soit différent, car nous savons que nous sommes plus qu’une histoire ou un corps d’un instant.

 

« Oui, cela est possible et accessible à chacun.

En revenant à cette nature lumineuse, à revenant à ce que tu es, cette âme qui momentanément s’est incarnée, tu t’ouvres à d’autres possibilités.

Pour certains, cela est possible. Il suffit d’y aller. De faire ce chemin de découverte de notre nature véritable. »

 

Au début, il m’était assez dur, presque insupportable, que mon père puisse être dans un espace de lumière. Il m’a fallu là aussi apprendre. Ce que je ne savais pas faire, c’est le ciel qui l’a donné. Un ciel qui donne et pardonne.

Il s’agit d’accueillir de ce ciel en nous, d’y retrouver des parts qui s’y étaient réfugiées, pour accéder à ces espaces où finalement tant de choses sont possibles.

 

Progressivement, ce que je prenais pour une échelle, s’est transformé en pont. Un pont entre mon ciel et un autre ciel. Un espace ouvert à un autre espace. Comme une goutte qui découvrirait l’océan.

Quand je le regarde depuis ici, je me rends bien compte qu’il existe, ce pont qui relie la Terre et le Ciel.

Ce pont est en chacun de nous. Il est possible.

C’est un espace à retrouver. Il ne s’agit pas de le créer, car lui, il est déjà là. Il a toujours été. C’est à nous, à chacun de nous, d’en retrouver le chemin. De retrouver ces parts blessées, ces histoires à relâcher, ces attachements à libérer, et cela se fait. Naturellement. Car dans l’invisible, ce pont n’attend que nous pour être retrouvé.

 

Aucune échelle, si belle soit-elle, ne peut laisser imaginer qu’un jour, par on ne sait quel miracle, à force de venir l’escalader, une transformation se fait.

 

Oui, un pont. Magnifique. Bordé de lumière et de jardins suspendus. Un pont laissant entrevoir des paysages merveilleux. Au-delà de ce que nous aurions pu imaginer. Ce pont est là.

 

Et chaque moment où nous entrons dans le sacré, nous le foulons ce pont. Nous le sentons. Et un jour, sous nos yeux ébahis, il nous est révélé.

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