Après quelques jours d’état grippal, je sortais pour sentir la forêt et profiter de l’air vivifiant avant de vous écrire cette lettre. J’en ai profité pour aller voir le sage Oriandre que je n’avais pas vu depuis quelques temps, depuis qu’il a déménagé proche de chez moi, dans la forêt.
Alors que j’empruntais le sentier qui mène chez lui, je le trouvais en chemin, assis sur un gros rocher, dans un endroit assez dégagé. Il regardait les collines à l’horizon. Je m’approchais joyeusement prêt à le surprendre. Au moment de l’interpeller, il tourna lentement sa tête dans ma direction et je le vis pour la première fois avec le visage triste, les larmes coulant lentement une après l’autre sur ses joues. Elles allaient ensuite rejoindre la grosse pierre où il était assis. Il pleurait en silence.
Sans plus de politesse, et sans aucun élan joyeux dans la voix, je lui demandais avec douceur et compassion : « Bonjour, ça va ? Je ne t’ai jamais vu comme ça. Tu es triste ? »
Il me fit oui de la tête sans prononcer un mot. Laissant les larmes continuer à sortir lentement de ses yeux avant de perler sur ses joues.
- Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui t’arrive ?
- Je ressens la tristesse me répondit-il calmement, tout en continuant à pleurer.
- A cause de quoi ? Que t’est-il arrivé ? J’étais à la fois surpris et un peu inquiet, cela devait se ressentir dans ma voix.
- Rien. Me répondit-il calmement.
Ne sachant pas s’il souhaitait rester seul avec la tristesse et que je le laisse ou que nous arrêtions de parler, je tentais une dernière question. Il m’avait appris à ne pas faire de supposition et de demander clairement les choses lorsque cela me semblait nécessaire. Et là, c’était vraisemblablement nécessaire. Je lui demandais avec autant de douceur possible :
- Tu veux bien me dire ce qui te rends triste ?
Il essuya ses larmes. Je sentais que nous allions parler. Visiblement j’interrompais son moment de tristesse, mais il resta calme et patient avec moi.
- Je ressens la tristesse de nombreux êtres. J’ai entendu parler d’une amie dont le couple vient de se séparer et elle est très triste. J’ai aussi senti la tristesse d’autres couples, d’autres personnes, et même ta propre tristesse quand tu t’es séparé il y a quelques années.
- Mais Oriandre, cela fait déjà un moment dans mon cas, pourquoi cela te rend-il triste ?
Il me regarda surpris :
- Mais je ne suis pas triste.
Visiblement, mon air un peu décontenancé l’incita à développer.
- Je ne suis pas triste, je sens la tristesse. Je ne sais pas d’où elle vient, mais elle est là. Alors je l’accueille. La majorité des personnes, lorsqu’il y a une émotion déplaisante, cherchent à la fuir. En la mentalisant, en la minimisant, en cherchant à l’évacuer rapidement. La tristesse est une énergie. Comme toute énergie, elle est connectée à de nombreuses choses qui vivent dans un autre espace-temps. Alors j’accueille la tristesse. Dans tout l’espace d’accueil qu’il m’est possible d’ouvrir. J’accueille sans raison. Juste par compassion avec la tristesse et avec les personnes qui ont été visitées par cette émotion. Je l’accueille dans mon corps, dans ma respiration, dans mon regard, dans mes pensées… sans rien rejeter. Juste être avec elle. Et je laisse faire. Sans chercher à changer quoi que ce soit. Sans chercher à comprendre ou saisir quoique ce soit. Je laisse juste faire ce qui doit se faire. Ici et maintenant. La tristesse est là, et je regarde paisiblement cela se manifester. A l’intérieur de mon corps, à l’extérieur… c’est pareil. Cela se manifeste et je l’accueille. Il y a un amour infini qui accueille cette émotion venue me visiter. Et ça lui fait du bien.
Il soupira puis ajouta.
- Là nous avons parlé. J’ai l’impression d’avoir beaucoup parlé. Je vais retourner à cet accueil maintenant.
Et il regarda à nouveau l’horizon. Il avait le visage à la fois paisible et sérieux, sans larmes pour le moment.
J’ai bien senti que la discussion était finie. Et qu’il souhaitait visiblement rester seul. Alors je me retirais, sans un au revoir, le plus discrètement possible.
Sur le chemin de retour, je repensais à ses mots, à son regard profond et paisible lorsqu’il me parlait. Je sentais que ma joie était atténuée. Que j’éprouvais une grande douceur et gratitude envers cet être que je ne comprenais pas toujours, et qui me surprenait si souvent.
Et en même temps, je sentais que ma marche solitaire était devenue différente. Effectivement elle était solitaire à l’aller, et là je redescendais vers chez moi, me sentant relié. Relié à de nombreux êtres. Quel que soit leur état. Quelle que soit leur situation sur le plan de la santé, de la vie familiale ou professionnelle. Je sentais ces liens qui m’accompagnaient à chaque pas. J’ai aussi pensé à vous, alors je vous écris en cette fin de journée. Ce n’est plus la joie de sortir dehors ou d’avoir revu Oriandre qui m’habite. Je ressens juste un état paisible. Profondément aimant. Un état qui accueille. Oriandre, la forêt, ma petite famille, mes amis et relations, tous les êtres… un accueil paisible et heureux.
Et à l’est, s’élevant au-dessus des crêtes boisées des collines, la lune se lève, entourée de nombreuses étoiles. La lune et les étoiles semblent si paisibles. Si heureuses.
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