Yeshoua
- Stéphane Boistard
- 28 juin
- 5 min de lecture

J’étais assis sur cette roche plate où j’aime me poser le matin. C’est cette roche assez large où souvent le soir je viens poser des offrandes au renard. À l’animal et à l’esprit de la forêt, l’esprit renard. Au petit matin, il ne reste rien la plupart du temps de ces croutes de fromage ou de ces tartines beurrées que je dépose sur la grande roche plate. Elle est sur le chemin en forêt qui part de ma maison et monte vers les crêtes. Elle est posée là, à une petite minute de la porte de ma maison.
Alors je m’assieds là et je reste un moment avec la forêt. Rester un moment, c’est assez facile. Mais avec la forêt, c’est chaque fois différent, tant notre énergie matinale est souvent teintée de nos rêves passés et de nos actions à venir. Présent, ce n’est pas si souvent le cas, tant les pensées voyagent dans le temps, revisitant le passé et projetant dans le futur des myriades de volutes mentales.
Mais ce matin-là, j’étais assis. Simplement assis. Sentant une forme de gratitude pour cette forêt, et pour la vie en général. C’était le petit matin de fin de mois de juin, un matin doux accueilli par des chants d’oiseaux.
Je percevais ces chants d’oiseaux, et mon attention se posa sur les ronces qui bordaient le chemin, dont l’une d’elles lançait dans l’air une tige feuillée qui arrivait proche de mon lieu d’assise.
Je regardais cette tige de ronce. Cette liane suspendue dans l’air. Et ses feuilles. Je regardais, et ma vision semblait changer. Mon regard semblait déceler un léger mouvement dans ces feuilles. En fait, c’était une feuille en particulier qui semblait changer. Ses nervures, son vert sombre semblaient bouger. Je restais à observer cela. Ces micro mouvements surement sortis de mon imagination.
À force de fixer mon attention, je ne vis plus de changements, si ce n’est une soudaine vision. Était-ce mon regard qui avait changé, ou la feuille qui avait manifesté cela, je voyais d’un seul coup dans cette feuille de ronce le visage du Christ. Je regardais bien, et effectivement je voyais le visage du Christ dans cette feuille. Les bords dentelés de la feuille paraissaient être barbe et cheveux, des petits points couleur rouille formaient des yeux et des narines.
Je clignais naturellement des paupières, et l’instant suivant, ce visage je ne le voyais plus. Il avait disparu, ne laissant visuellement qu’une feuille de ronce habituelle.
Je fermais les yeux, et à peine avais-je clôt les paupières que je revis cette feuille de ronce et le visage du Christ en surimpression. J’étais surpris à nouveau et c’est à ce moment que j’entendis une voix :
- Oui, c’est bien moi.
Je ne savais que dire. Alors me sentant comme un enfant qui ne sait pas réagir face à une nouvelle situation qui sort si fortement de l’ordinaire, je demandais :
- Est-ce que tu vas disparaitre à nouveau ?
- Respire.
Me répondit la voix d’un ton à la fois grave et doux. Elle reprit :
- Respire avec moi. Prononce mon nom.
Alors je prononçais dans ma tête son nom. Je le répétais :
- Jésus… Jésus… Jésus…
- Mon autre nom. Celui que tu peux respirer avec ton cœur.
Je ne savais pas de quoi il parlait.
- Quand tu inspires, approches toi de la syllabe « Yé ». Juste de l’air. Ne cherche pas à prononcer exactement. Tu inspires et tu t’approches d’un souffle sans parole. « Ye ». Quand tu expires, tu fais de même, un souffle sans parole, dont le son se rapprocherait de « shoua ». Essaie.
- Et tu ne partiras pas ?
- Je suis avec toi. Je suis toujours avec toi.
Alors j’essayais. Assis sur cette roche plate, au milieu du chemin qui monte vers les crêtes. Je faisais trainer l’inspire « ye » qui gonflait ma poitrine et je laissais sortir le souffle « shoua ». Lentement. Amplement.
Je sentis une forme d’apaisement en moi. Dans le corps. Dans ma tête. Dans mon cœur.
Alors que je continuais à respirer ainsi, je m’aperçus que dans mon espace visionnaire la feuille de ronce avait disparu, et le Maître aussi. Mais je continuais à respirer ainsi. Respirer son nom. Me laissant dilater et contracter avec cette respiration. Je gardais les yeux fermés durant les quelques minutes de cet exercice respiratoire.
Puis j’ouvris les yeux. Que la nature était belle. Que la forêt était belle. Même les ronces si peu aimées étaient emplies de vert si présent. Les oiseaux semblaient chanter pour que mon cœur reste en extase. Tout était beau. Tout était vibrant. Pas une grande vibration comme j’en ai connu dans des expériences mystiques. Une vibration à la fois fragile et pourtant si puissante.
Je demandais intérieurement à tout hasard.
- Est-ce que tu es là ?
- Je suis toujours là, me répondit la voix.
Et cela me rassura. Je sentais que dans les épreuves de la vie, et même dans mes moments de peurs ou d’effroi, cette présence serait là. D’une manière ou d’une autre, elle serait là. Et elle avait toujours été là. Je peux chercher à faire du bien, voire à chercher à rendre un monde idéal, rejetant ce qui me dérange, rapprochant ce qui me semble bon ; je peux juger, condamner, idéaliser, avoir un avis sur tout et sur tous, voire chercher à contrôler mon environnement immédiat… cela ne marche pas. Je m’épuise à cela. Alors je m’en remets. Autant que possible, je m’en remets.
Je résiste. Parfois je grogne. Parfois j’ai peur. Mais il arrive toujours un moment où je me rends compte que la vie me montre sa beauté. Dans la forêt, cela arrive toujours à un moment ou à un autre.
À une époque où la forêt est tant coupée, où les humains vivent dans des espaces déconnectés de cette forêt, je me sens un peu Robinson sur son île. Assis sur une pierre plate au milieu de cet océan de troncs, de feuilles et de lianes.
Et je repris ma respiration. « Ye - shoua ». Les pensées semblaient se dissoudre dans l’air ambiant. La roche, les arbres, les oiseaux, et la terre elle-même semblaient respirer avec moi. Même le ciel s’en mêla. « Ye – shoua ».
Je ne connais pas le Christ des Églises. Je m’en tiens éloigné. À la résonance des édifices de pierre je préfère les chants d’oiseaux. Et les jeux de lumière dans les feuilles d’arbres forment des assemblages mouvants aussi lumineux que les plus beaux vitraux.
Je ne suis pas dans un temple dans la forêt. Je suis parfois dans mes pensées, et parfois je suis simplement dans le vivant. Rien d’autre que cela. Laissant aux espaces domestiqués les histoires purement humaines. Je reviens à une forme d’humanité. Et ce jour-là, c’est la feuille de ronce qui a manifesté. La vie est surprenante et offre de multiples manifestations.
Je revins à la respiration. Paisible. Ample. Calme. Mon cœur s’ouvrit, mon corps s’apaisa, et les pensées devinrent du souffle inspiré. Je m’accordais naturellement à ce qui vibrait. Percevant, l’espace d’un instant, uniquement une vibration. Et dans cette vibration, l’amour était là.
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